Lu dans Libération du 14 février 2015. Nous publions l'article « brut de décoffrage ». Cela en dit long sur le boxeur du Boxing club de Bagnolet, si cher à Marc Everbecq et à son DGS Hassen Allouache :
« Le mystère demeure sur le meurtre du frère du boxeur Farid Khider
À LA BARRE
Les deux accusés qui comparaissaient devant les assises du Val-de-Marne ont été acquittés.
C’est un champion de boxe qui s’est retrouvé à la une de la rubrique faits divers. Farid Khider, 40 ans, six fois champion du monde — kick boxing, full-contact, boxe thaïe, boxe française — a échappé de justesse à la mort, le 5 octobre 2011. Pas son jeune frère Liesse, alors âgé de 29 ans. Le procès, dans lequel Farid Khider est partie civile, s’est achevé vendredi soir à Créteil (Val-de-Marne) sans que l’affaire soit élucidée: les deux accusés ont été acquittés. Pascal K., 33 ans, et Yohann T., 29 ans, qui comparaissait libre, répondaient de meurtre et de tentative de meurtre.
Farid Khider a un physique avenant. Cheveux grisonnants coiffés en arrière, il a la taille svelte d’un homme qui soigne sa forme. Retraité des rings, il rode aujourd’hui un one-man-show à Paris («One Round Show», au théâtre des Variétés) après s’être fait connaître pour avoir participé à «la Ferme Célébrités» en 2010, et avoir consigné ses souvenirs dans un ouvrage (1).
«ON ÉTAIT CONFRONTÉ À UNE OMERTA»
Ce soir du 5 octobre 2011, Farid accompagne son frère Liesse qui a eu une embrouille avec des jeunes du quartier. En cause : un trafic de stupéfiants. Ils se retrouvent place Saint-Exupéry à Orly (Val-de-Marne), lieu de deal, et très vite une bagarre éclate. Coups de poing, coups de pied, coups de cric. Des jeunes surgissent et font usage de leurs armes : une Kalachnikov et une arme de poing.
Farid s’enfuit vers sa voiture et essuie une volée de tirs, mais Liesse est touché. Il décédera peu après des suites de ses blessures au bassin, au thorax et aux jambes. A Orly, Farid Khider mène ses investigations. «Comme si, à côté de l’enquête de police, on avait une autre source qui visiblement fait sa propre enquête, c’est Farid Khider», constate le président des assises.
Des témoins viennent «spontanément» témoigner après avoir eu un contact avec la famille Khider, ajoute le magistrat. Un capitaine de police confirme : «Il a dû savoir trouver les mots pour qu’ils viennent témoigner.» L’enquêteur n’a pas apprécié :«On peut estimer que certains témoins nous servent la version Farid Khider. On était confronté à une omerta, on s’est fait chasser par des concierges. Effectivement, c’était nuisible à l’enquête.»
«JE SUIS PEUT-ÊTRE PASSÉ POUR LE SHÉRIF»
D’un autre côté, Farid Khider est le seul qui parle à la police dans la cité, reconnaissent les enquêteurs. Lui-même admet : «J’ai mené ma propre enquête en parallèle, je pense que c’était légitime, je voulais que ça avance et que justice soit faite, j’ai essayé de me servir de mes contacts.» Plus loin, il précise : «Après, je suis peut-être passé pour le shérif, j’ai des copains policiers et un réseau, et des gens à qui on demande parfois des renseignements.» «Farid Khider a un côté blanc et un côté sombre», tranche le président. Le boxeur va ainsi chercher un témoin à la gare Montparnasse et l’emmène au poste de police.
A la barre, Farid Khider se fait parfois plus modeste. Il se considère comme un«miraculé». Des tirs de pistolet ont atteint les vitres et le capot de sa voiture : «On a beau être fort, champion du monde, quand on vit ce drame-là, on n’est qu’une merde. C’est un choc violent, on subit une tentative de meurtre. Pour se remettre dans le circuit, on repense à cela, on culpabilise tous les jours.»
Chez Farid, les enquêteurs ont trouvé un 357 Magnum, un fusil de chasse et un gilet pare-balles. Pour le 357, Farid affirme que son frère Liesse est venu le cacher dans son garage. «C’était pour se protéger. Je l’ai mis sous le piano, il avait une arme comme plein de gens ont une arme chez eux. Je ne peux pas cautionner, je ne peux pas dire que c’est bien.»
Pourquoi le garder? Parce «j’avais reçu des menaces de mort sur moi et sur ma famille.» Le président lui reproche de «s’exhiber» dans des vidéos sur Internet avec des armes: «On ne peut pas prôner l’arrêt des armes dans les banlieues et faire des vidéos dans lesquelles vous vous exhibez. Comment se fait-il que vous, médiateur, éducateur, idôle des cités, vous fassiez ce type de vidéos?»
«C’est un loisir, répond Farid. En Thaïlande, on tire au lance-roquettes sur des vaches (sic). C’est un sport, j’ai une licence de tir, cela ne fait pas de moi un tueur.»Farid Khider est respecté. Il fait peur, aussi. Un témoin, incarcéré pour trafic de stupéfiants, dépose à la barre en expliquant qu’il a fuit la cité. Pourquoi craindre le boxeur? «C’est comme quoi il avait fait une liste, il cherchait les gens pour les tuer. J’y ai cru.»
«J’AI DIT AUX POLICIERS QUE C’ÉTAIT MOI CAR TOUT LE MONDE LE DISAIT»
Au-delà de sa personne, l’audience n’a pas permis d’éclaircir l’affaire. Désigné par plusieurs témoins comme le tireur à la Kalachnikov, ce qu’il avait reconnu pendant l’instruction, Pascal K. a affirmé aux jurés ne plus se souvenir des événements, sous l’effet de l’alcool et la cocaïne. Il s’est dit innocent. «J’ai dit aux policiers que c’était moi car tout le monde le disait, c’était la rumeur, a-t-il expliqué. Je voulais mettre fin à ma cavale, il y avait un contrat sur ma tête. Alors autant aller en prison.»
L’avocate générale avait requis 15 ans d’emprisonnement contre lui, et 6 ans contre l’autre accusé, Yohann T., soupçonné d’avoir participé à la fusillade, ce qu’il contestait. Les jurés ne l’ont pas suivie.
«Ce double acquittement est le résultat d’un dossier mal fichu et bâti de façon insuffisante, a affirmé à l’AFP Me Philippe Louis, avocat de Pascal K. Dans sa détresse, la famille Khider s’est peut-être un peu trop mêlée de l’enquête.»
(1) Les rounds de ma vie, Flammarion.Didier ARNAUD »