Un dossier sérieux et documenté de Régis Soubrouillard sur le lycée musulman de Lille dans Marianne :
« Averroès : un lycée « modèle » à l'environnement douteux
Lundi 23 Février 2015
Au cœur de la polémique déclenchée par deux tribunes rédigées par un ancien professeur du lycée de l'établissement qui y dénonçait notamment un antisémitisme culturel chez les élèves, le lycée Averroès a longtemps été présenté comme un lycée modèle. Si son enseignement et sa pédagogie ne sont pas en cause, ce que CONFIRME la mission d'inspection, la galaxie intellectuelle et religieuse qui gravite autour du lycée est plus problématique.
Le lycée Averroès pensait avoir trouvé la parade pour répondre aux virulentes critiques ADRESSÉES par son ancien professeur de philosophie dans Libération : organiser des journées portes ouvertes pour les journalistes autorisés à venir passer plusieurs jours dans ce lycée privé musulman « modèle » qui affiche des taux de réussite au bac à faire pâlir les très chics et très parisiens Louis-Le-Grand et Henri-IV. Une sorte de VOYAGE touristique dont la plupart sont revenus rassurés, dédramatisant la tribune de Soufiane Zitouni qui pointait le double langage de la DIRECTION, un antisémitisme « culturel » chez les élèves, mais aussi un goût obsessionnel pour le complotisme et la diffusion dans les têtes d’un islam orthodoxe.
De tout cela, on ne perçoit que quelques signes dans les récits publiés par les journalistes accueillis sur place. Etonnant ? Il y a sans doute peu de choses à reprocher d’un point de vue pédagogique à un lycée qui affiche 100 % de réussite au bac et la mission d’inspection diligentée par le rectorat de Lille a tout juste recadré l'établissement sur des détails liés à la place du religieux. L’image du lycée modèle n’en demeure pas moins écornée et la déclaration de guerre formulée récemment par Manuel Valls contre les Frères Musulmans et l’UOIF (l'Union des organisations islamiques de France dont dépend l'établissement) n’est pas étrangère à cette polémique. Car le soupçon demeure. Derrière le vernis du lycée modèle, Averroès est-il en fait l’incubateur d’un islam radical, VOIRE la fabrique d’une élite islamiste ?
C’est l’exclusion d’une vingtaine de lycéennes d’établissements publics lillois, sur fond d’affaires de voiles islamiques au milieu des années 1990, qui servit de base de lancement au « projet Averroès » en 2003. L’UOIF vise alors la mise en place d’une école confessionnelle musulmane, sur le modèle des établissements catholiques.
Quand le lycée a obtenu, en 2013, la première place du classement des lycées de France, Amar Lasfar, le président de l’association Averroès qui gère le lycée -le rectorat réclame que le rôle de cette instance soit distingué de l'établissement- n’a pas manqué de dédier cette réussite aux jeunes musulmanes qui portent le voile interdit, rappelant que le lycée avait connu « son émergence par les larmes ».
L’intéressé, qui a le sens du tragique, a aussi de l’influence: en plus de présider l’association, il est président de l’UOIF, président de la Ligue islamique du Nord et recteur de la mosquée de Lille-Sud. Amar Lasfar a aussi le sens des affaires puisqu’il est à la tête ou actionnaire de plusieurs tours operators qui baladent régulièrement les élèves du lycée partout dans le monde…
En 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur en fera l’un de ses interlocuteurs. L’ancien président de la République est alors opposé à la loi sur l’interdiction du voile, signifiant à l’UOIF qu’il les considère comme des « orthodoxes » et non comme des « intégristes». La nuance est d’importance, puisqu'elle intronise l'organisation comme un représentant officiel de l'islam de France. Aujourd'hui encore Amar Lasfar reste le personnage clé de cette organisation proche du mouvement islamiste des Frères musulmans.
A ses débuts, le lycée Averroès est directement logé dans les locaux de la mosquée Lille-Sud avant de déménager pour que se développe la struture, mais aussi pour une question d’image. « Il fallait donner l’image d’une indépendance du lycée par rapport à la mosquée. Mais ce n’est qu’une question d’image, ce sont les mêmes qui dirigent la mosquée et le lycée Averroès. Les grandes décisions notamment par rapport au financement se prennent au niveau de la DIRECTION de l’UOIF. Les directeurs et directeurs adjoints ne sont là que comme des pantins » nous explique Mohamed Louizi, un ancien de l’UOIF qui a quitté l’organisation sur fond de désaccord idéologique.
Une question d’image également que le nom choisi pour l'établissement. Au lycée Averroès, impossible de trouver un livre de celui qui reste l’un des plus grands philosophes arabes, selon Soufiane Zitouni. Une absence qui ne doit rien au hasard : Averroès a toujours cherché à concilier la philosophie rationaliste d’Aristote avec la foi musulmane. Rien à VOIR avec l’approche prônée par l’islam « frériste » et dont le fondateur Hassan El-Banna défendait, lui, l’idée d’un djihad offensif dans le cadre d’une révolution islamique. En nette perte de vitesse sur le plan international, supplantés par les mouvements salafistes, les Frères musulmans ont mis en œuvre une stratégie de conquête de l'hégémonie intellectuelle. Un islam idéologisé dont Tariq Ramadan sera la tête de proue en Europe.
Interrogé maintes fois sur le sujet, Amar Lasfar a toujours récusé l’existence de liens entre l’UOIF et les Frères musulmans. Un déni de réalité dont même le récit de la promenade organisée sur place pour Mediapart donne quelques indices.
Alors que le directeur du lycée Hassan Oufker, membre de l’UOIF tient aussi cette ligne (« C’est une accusation sans fondement. Mes références, c’est Keynes, Friedman autant que les Frères musulmans. Je ne vais pas résumer ce que j’ai dans la tête à une seule pensée. Je n’ai pas ouvert cet établissement pour enseigner la morale islamique »), de son côté, le professeur d’éthique musulmane, Sofiane Meziani, proche du prédicateur islamiste Tariq Ramadan, assume sans problème l’influence de l’imam Hassan El-Banna.
« LES FRÈRES MUSULMANS EN EUROPE, REPRÉSENTÉS PAR L’UOIF, SONT À L’ORIGINE D’AU MOINS LA MOITIÉ DES PROJETS D’ÉTABLISSEMENTS DANS L’HEXAGONE, MUS PAR UNE VOLONTÉ DE “RÉISLAMISER” LES JEUNES GÉNÉRATIONS »
En 2010, un rapport de l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) et de l’IISMM (Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman), commandé par le ministère de l’Intérieur, qui portait sur l’enseignement musulman en France décrivait précisément l’influence de la Confrérie et l’objectif politique de la mise en place de cet enseignement : « Les Frères musulmans en Europe, représentés par l’UOIF, sont à l’origine d’au moins la moitié des projets d’établissements dans l’Hexagone, mus par une volonté de préserver l’identité musulmane des communautés immigrées et de "réislamiser" les jeunes générations, pour créer une "citoyenneté musulmane", à la fois intégrée dans la société et gardant sa spécificité religieuse. Leur action militante s’est traduite d’abord par la construction de mosquées et l’organisation de séminaires religieux. La construction d’écoles est vue comme une étape supplémentaire dans cette dynamique de réislamisation ».
C’est peu dire que les tribunes du professeur de philosophie Soufiane Zitouni, qui cherche à lever un coin du voile sur l’atmosphère qui règne dans cet établissement, ont jeté un trouble au sein de l’Education nationale, et chez les responsables politiques locaux, qui préfèrent éviter le sujet (voir encadré ci-dessous). Même refus du côté de Michel Soussan, un personnage clé de la certification obtenue par le lycée en 2008. Conseiller municipal d’opposition (UMP) à la MAIRIE de Lille, cet ancien inspecteur d’académie, actuellement à la tête d’un cabinet de conseil en éducation, souvent décrit comme le véritable « maître à penser » de la direction du lycée, a préféré ne pas répondre à Marianne dans le contexte actuel. Rien à déclarer non plus du côté de Hassan Oufker, directeur du lycée Averroès.
Auteur de La question musulmane en France, récemment paru aux éditions Fayard (1), Bernard Godard a longtemps été présenté comme le « Monsieur islam » du ministère de l’Intérieur. Face à ce sujet qu’il juge « très délicat », il préfère garder une certaine prudence : « Ce que décrit Monsieur Soufiane Zitouni sur le discours antisémite dans les classes ne m’étonne malheureusement pas et, on le sait maintenant, ça n’est pas propre aux lycées musulmans mais je reste prudent car il faut être précis. Au lycée Averroès, il faut voir s’il y a des problèmes au niveau de l’enseignement. C’est un lycée conventionné et pour obtenir le contrat de l’Etat, il y a des critères à respecter. Par exemple, dans ce qu’ils appellent les cours d’éthique musulmane, si c’est la même éthique qu’on enseigne au lycée et à la mosquée, ou si on incitait les jeunes filles à porter le voile pour se distinguer, ce serait problématique. De même, tout ce qui est cultuel doit être séparé de l’enseignement. De ce que je sais, l’UOIF a toujours été très prudent dans le système d’enseignement qu’ils mettent en place. Mais le cordon ombilical avec l’UOIF existe et il y a une tradition antisémite chez les Frères musulmans. Il y a par ailleurs un profil de conférenciers, toujours les mêmes, invités dans le lycée. Tout cela participe évidemment d’une atmosphère et d’un environnement idéologique. »
Une distinction que fait aussi Mohamed Louizi qui, sur son blog, a écrit un article très documenté sur les méthodes de l’UOIF, la personnalité d’Amar Lasfar et la polémique qui touche actuellement le lycée. Il voit dans cette distinction le problème majeur du Lycée Averroès : « Il faut différencier l’établissement scolaire qui a des performances exemplaires du point de vue des critères de l’Education nationale : discipline, qualité de l’enseignement, classes non surchargées et l’idéologie qui y est véhiculée. De ce point de vue, l’argument du lycée modèle ne tient pas » estime-t-il.
Pour lui, le lycée n’est pas seulement un territoire de recrutement pour l’UOIF, mais le lieu de diffusion d’une idéologie : « C’est plus profond. La plupart des membres de l’UOIF ont inscrit leurs enfants là-bas. Les dirigeants de l’UOIF d’aujourd’hui espèrent que l’UOIF de demain sera représentée par les jeunes qu’ils ont formé à travers l’école coranique de la mosquée, le collège et le lycée Averroès. L’objectif est de créer des cadres, une élite qui adhère à la vision de l’islam véhiculée par l’UOIF. C’est ce que l’UOIF appelle ses "associations de rayonnement" qui sont chargées de préserver une certaine identité. La plupart des élèves, notamment les collégiens, vont écouter les prêches d’Amar Lasfar à la mosquée de Lille le samedi et dimanche ou apprendre la langue arabe à la mosquée ».
L’intéressé refuse pour autant de faire du lycée un simple « territoire d’endoctrinement », estimant que les jeunes passés par Averroès peuvent aussi découvrir d’autres textes et développer leur esprit critique.
Sociologue de l’islam, Omero Marongiu, autrefois membre — également démissionnaire — de l’UOIF qui connaît la direction du lycée ne nie pas l’existence de problèmes au sein de l’établissement mais relativise, lui, leur importance : « Evidemment qu’il y a des élèves qui ont certainement tenu des propos déplacés au moment de la minute de silence après la tuerie de Charlie Hebdo, d’autres qui ont pu tenir des propos antisémites et qui ont une pratique radicale de l’islam. Mais Monsieur Zitouni transforme des problèmes qu’il a constatés, en quelque chose qui relèverait d’un effet structurel de l’établissement. Pour connaître cet établissement, il a fait beaucoup d’efforts pour obtenir une certification et s’imposer comme un établissement élitiste, ce qui pour moi, pose d’ailleurs d’autres questions. Mais le lycée Averroès affiche une certaine cohérence entre son enseignement général et religieux ».
Il ne nie pas, pour autant l’influence de ces « associations de rayonnement » citant l’exemple de nombreuses associations d’accompagnement scolaire musulmane, établies partout en France, qui se revendiquent du prédicateur Tariq Ramadan : « Le courant idéologique dominant parmi les établissements nés au début des années 2000 est celui des Frères musulmans dont Tariq Ramadan est proche. Mais l’influence de Tariq Ramadan est largement liée à l’envergure médiatique dont il dispose. Tariq Ramadan diffuse un idéal maximaliste, au sens strict du terme, de l’islam. Une pensée relayée par les milieux "islamo-gauchistes" qui ajoutent à ce maximalisme l’idée qu’être un bon musulman, c’est forcément être altermondialiste. C’est par ce courant politique que Tariq Ramadan parvient à diffuser sa pensée. Ainsi se répand un véritable idéal de vie qui rencontre un écho démesuré dans les médias et touche aussi les élèves ».
« LES PRÊCHES DES IMAMS ET LES COURS D’ÉTHIQUE RELIGIEUSE SONT SIGNÉS UOIF, ON Y TROUVE DES BROCHURES DE L’UOIF ET DES LIVRES DE TARIQ RAMADAN »
Contacté par Marianne, Soufiane Zitouni confirme, lui aussi, l’influence de cet environnement : « Les prêches des imams sont signés UOIF, les cours d’éthique religieuse sont signés UOIF, faute d’avoir des livres d’Averroès dans le lycée Averroès, on y trouve des brochures de l’UOIF et des livres de Tariq Ramadan. Les frères Ramadan ont fait des conférences au lycée Averroès. Certains professeurs du lycée, les plus intégristes, font parfois office d’imams. Et l’embrigadement se fait surtout à partir des cours d’éthique musulmane et des prêches ». Le rectorat préconise d'ailleurs de lever les ambiguïtés entre le cours de philosophie et celui d'éthique religieuse.
C’est dans cet environnement que l’on retrouve la trace des personnalités controversées qui gravitent autour du lycée. Il en va ainsi de Hassan Iquioussen, aujourd’hui prédicateur très populaire de la mosquée de Quiévrechain, dirigeant de l’UOIF, autrefois professeur d’éthique musulmane à Averroès. Lors d’une conférence, en 2004, dont le contenu avait été révélé par l’Humanité, il déclarait : « Les textes aujourd'hui le prouvent. Les sionistes ont été de connivence avec Hitler. Il fallait pousser les juifs d'Allemagne, de France... à quitter l'Europe pour la Palestine. Pour les obliger, il fallait leur faire du mal ».
En 2013, le site Rue89 affirmait que l’intéressé accompagnait encore des élèves en voyage de classe en Turquie, en mars 2012, et avait été reçu pour une conférence, en décembre 2011, deux événements dont les récits ont mystérieusement disparu sur le site du lycée qui fait pourtant la promotion de nombreuses sorties et des conférences auxquelles assistent les élèves. Le même Hassan Iquioussen a participé à plusieurs conférences avec Alain Soral arguant de la nécessité de dialoguer avec tout le monde. La dernière rencontre était annoncée à Rennes en octobre dernier. »